Des écrits sacrés de l’Inde
L’auteur de cette présentation des écrits sacrés de l’Inde est Shri S S Goswami. Elle a été adaptée parBasile P Catoméris au système de translitération de l’auteur du livre Layayoga (Inner Traditions).
Les anciens écrits de l’Inde sont ici considérés sous plusieurs chapitres:
Le Veda¹
Selon la tradition indienne, qui remonte à des temps immémo-riaux, le Veda ne serait pas d’origine humaine. Tous les autres anciens écrits du patrimoine hindou sont fondés sur cet ouvrage. Une assertion toutefois contestée par une pensée moderne, qui procède d’une intellectualisation in-fluencée par des spéculations et d’ingénieuses inférences qui résultent en une interprétation fantaisiste des textes védiques, au demeurant dépourvue de toute sympathie, attirance ou égards et le plus souvent vide de toute vi-sion intérieure ou d’expérience, ce qui en interdit la compréhension d’un sens spirituel et technique qui demeure ainsi caché au cœur du Veda. Le Veda est appelé shrouti pour avoir été «entendu» par une oreille interne ouverte avec un mental qui se trouve en état de concentration. Le Veda est également «visionné » dans une vision toute yoguiqe, qui se développe dans les états de dhyâna et samâdhi, à l’exclusion de toute élaboration intellectuelle. Toute vérité inhérente à la nature peut être révélée à quiconque possède une faculté adéquate. Ce qui ne signifie pas pour autant que cette personne en est l’auteur. Si l’on prend par exemple le cas de la gravitation, ce n’est évi-demment pas Newton qui en est le créateur mais plutôt son découvreur.
C’est par manque de compréhension de l’interprétation brahmanique des Ve-das que surgirent des interprétations discordantes et insensées. C’est en outre déraisonnable que de vouloir mettre sur un même pied les interpréta-tions brahmanique et ritualiste. Dans sa phase indéterminée et immuable, la conscience suprême, ou Brah-man, présente un aspect dont le Pouvoir, où reposent Être et Conscience, se trouve sous tension, dans une forme infinitésimale sonique, parashabda, qui demeure latente. Lorsque cette force suprême est dynamisée et se réalise, le principe du potentiel sonique son se transforme en une rayonnante énergie, appelée pashyanti, qui constitue le pranawa 2), ou mantra primordial – la forme d’énergie originelle manifestée et qui est dotée de créativité. Préémi-nent et rayonnant, ce son est ensuite transformé en une puissante énergie appelée madhyamâ, laquelle permet l’émergence d’un certain nombre d’entités potentielles capables de produire des forces cinétiques associées à une pléthore d’éléments soniques. Ces entités se combinent les unes avec les autres de différentes manières, et révèlent ainsi une forme élémentaire de » sons-germes », qui ne sont appréhendés que sous forme audible. Appe-lés bîja (germe)-mantras, ils se caractérisent au niveau le plus grossier par la faculté de fonctionner dans le monde physique. On appelle cet aspect du son, waikhari. Son dynamisme opérationnel émet alors une énergie émet-trice de sons. Dans cette vaste perspective évolutive, tous les germes de la vie, du mental et de la matière résident dans la puissance suprême du son. C’est aussi à ce stade que sommeille toute connaissance et toute forme de maîtrise. Le Veda, c’est donc l’intégralité de ce dynamisme, exprimé dans ses différentes dimensions soniques. C’est là que se retrouve l’ensemble de tous les systèmes concevables de connaissance notamment avec les niveaux suivants.
- Connaissance surconsciente de l’Être suprême et d’objets à différents niveaux en samprajñata samâdhi.
- Connaissance ultime de l’Être suprême par la réalisation d’un mental transcendant en asamprajñâta samâdhi.
- Réalisations supersensorielles en dhyâna.
- Hautes connaissances intellectuelles en matière spirituelle et physique.
- Connaissance du monde sensible.
C’est ainsi que dans une pleine expérience du Veda, l’intégralité du système des connaissances est révélée. Cette expérience primordiale correspond à la réalisation du Brahmâ. C’est l’expérience suprême. Il existe toutefois un grand nombre d’expériences secondaires du Veda.
Ces expériences secondaires sont celles des rishi. L’expérience des rishi révèle ainsi un segment du Veda, ou du système de connaissances. Les rishi que mentionnent les Sangîta au niveau des mantras ne sont pas des auteurs, mais des « voyants », qui en samâdhi, sont capables d’aperception dans la réalisation de certains mantras. Les expériences révélées dans cet état du samâdhi sont alors exprimées, passant ainsi du sublime à un langage hautement technique, qui constitue à vraiment parler le langage védique. C’est donc une connaissance segmentée qui, présentée dans un langage védique, constitue la Mantra-Sangîta du Veda.
Nombre de ces expériences segmentées des rishi du Veda révélèrent ainsi maintes vérités et lois de la nature qui leur permit d’acquérir un haut degré de connaissances d’ordre pratique aussi bien au niveau du mental que de la matière. C’est ainsi qu’ils purent acquérir une connaissance directe de la science du Yoga, parallèlement à des connaissances de nature scientifique. Dès lors, à l’état latent le Veda englobe ainsi toutes les réalités scientifiques ou spirituelles existant ou à découvrir. L’évolution de notre planète autour du soleil, la gravitation, la transplantation tissulaire, la circulation du sang sont quelques exemples des connaissances scientifiques contenues dans le Veda. Maintes connaissances fondamentales furent ainsi élaborées par les rishi, sur la base d’études et d’expériences pour être ensuite présentées comme des sciences distinctes : la science du mental, de la médecine (Âyurvedâ), de la physique (Bhoutikâtibhoutika shâstra), de la chimie (Vedam), de l’électricité et du magnétisme (Soudâmini), des mathématiques (Rashi), de l’astrologie et de l’astronomie (Jyotisha) en sont des exemples. La plupart de leurs ouvrages ont hélas disparu; de nos jours seuls subsistent quelques fragments épars dans les Purâna.
Unique, le Veda originel constitue un tout indivisible qui est composé de quatre modèles de mantras – riz, yajus, sâma et atharwa. S’y dénombre en tout 100.000 mille mantras.
Le premier rishi premier (« voyant ») fut Brahmâ, qui dans sa vision yoguique «vit » l’intégralité du Veda avant de l’exprimer. Ce Veda est considéré être le Veda originel, il est aussi intitulé prâjâpatya shruti, indiquant ainsi ce qui fut «entendu» par Brahmâ en samâdhi. C’est l’expérience ultime du Veda.
Dans les expériences subsidiaires du Veda par les rishi retrouve tout d’abord le rik-mantra, révélé au rishi Agni et le yajus-mantra, révélé au rishi Wayu, le sama–mantra au rishi Surya et l’atharwa-mantra au rishi Angira. Dans son ensemble le Veda est néanmoins demeuré indivisé.
A l’époque du 28ème Dwapara (environ 4 à 5 mille ans avant notre ère), le célèbre rishi Krishna Dwipâyana abrégeait le premier Veda en quatre livres. Le réaménagement du Veda originel lui valut le titre de Vedawyâsa. Edités par Vyâsa les quatre livres sont intitulés : RigVeda-sangîta, Yajurveda-sangîta, SamaVeda-sangîta et Atharwaveda-sangîta.
Le Yajurveda fut finalement départagé en Shuklayayurveda-sangîta et Krishnayayurveda-sangîta. Très probablement identiques aux sangîta de Vyâsa, les ouvrages correspondants contemporains sont les Rig Veda, Yajur Veda, Sâmana Veda et l’Atharwa Veda-sangîta. Une profonde croyance confère aux textes védiques un caractère sacré, elle accorde par ailleurs une grande vénération au mode unique d’enseignement oral qui au fil du temps assura leur transmission par les gourous successifs ainsi que la détermination de ces derniers à préserver l‘intégrité des textes parallèlement à la prodigieuse mémoire des élèves. C’est cela qui a permis la survivance, sans interpolations ou modifications, des Sangîta de Vyâsa.
Les Brâhmana
Des mantras dérivés du Veda originel les anciens rishi extrayaient un langage brahmanique permettant de bien en saisir la signification. C’est ainsi que les écrits brahmaniques virent le jour. Leur volume impressionnant n’est pas moindre que celui, tout aussi impressionnant, du Veda originel. Il serait risqué d’affirmer avec certitude l’existence d’un ouvrage massif unique, à l’instar du Veda originel ou de quatre livres correspondant aux quatre types de mantras de cet ouvrage.
Après que Vyâsa eu édité le Veda originel en quatre Sangîta distinctes, les anciens écrits brahmaniques furent modifiées, et probablement répartis en plusieurs volumes. Pour faciliter la compréhension du Veda, l’interprétation des quatre Sangîta fut contrainte de suivre le cheminement de différentes écoles de pensée (shâkhâ). Le Muktikopanishad en dénombre 1180 alors que Patanjali, l’auteur de la Mahâbhâshya et commentateur célèbre de la grammaire de Panini, en comptait 1130. Il est mentionné que chaque école avait son propre écrit brahmanique ce qui laisse supposer une importante démultiplication. Nombreuses sont les écoles qui depuis ont disparu entrainant ainsi la perte de nombreux écrits.
Les Brâhmana contemporains se résument à l’Aitareya et les Koushitaki Brâhmana du RigVeda, le Shatapatha Brâhamana du Shuklayayurveda, le Taittirija Brâhmana du KrishnayajurVeda, le Tandya, Jaiminiya, Daiwata et Shadwinghsa Brâhmana du Sâmaveda, et le Gopatha Brâhmana de l’Atharwaveda.
La proche relation des Brâhmana et des mantras inspira Apastambha, dans son Yajnaribhâsha sutra, à définir le Veda comme le langage des mantras et des Brâhmana; et d’assimiler les mantras et les Brâhmana au Veda (ibid).
Les Upanishad
Les Upanishad sont une partie intégrante des Brâhmana. Seules quelques Upanishad relèvent des Sangîta. Il existe aujourd’hui un grand nombre d’ Upanishad, dont 108 sont les plus connues notamment par la Muktikâ. Outre ces 108 Upanishad, d’autres ont récemment été mises à jour sous forme de manuscrits. Sous le titre «Un-published Upanishads » » la Bibliothèque Adyar de Madras, en Inde, a publié pas moins de 71 Upanishad. Dans l’Upanishad Wâkya-Mahâkosha les titres de 225 Upanishad sont mentionnés, dont 115 Upanishad viennent s’ajouter aux 108 Upanishad couramment connues.
Les Upanishad présentent notamment le Yoga et la réalisation de l’état suprême de conscience qui conduit à la réalisation directe de Brahman. Y sont également explicités, le mental, les forces prâniques et les nâdis (forces subtiles cinétiques).
Les Tantra
L’origine des Tantra est presque aussi ancienne que celle du Veda. Les Tantra sont dits être issus de la bouche de Shiva, le Veda de celle de Brahmâ. Il est également affirmé que le Veda et les Tantra sont les deux bras de la Puissance divine et que l’univers entier est porté par ces deux bras. Ce qui indiquerait le rôle fondamental du Tantra au niveau de l’intégralité du monde des connaissances, qu’est le Veda. Ce qui explique aussi que le Purâna Vedanga considère le Tantra comme une partie essentielle du Veda. Le terme tantra est mentionné dans l’Ashwalâyana Shroutasutra. Kullukabhatta, le célèbre commentateur de la Manusangîta, affirme que la shruti est de deux sortes – védique et tantrique.
Le terme shruti traduit ce qui est reçu par l’ouïe intérieure dans la concentration profonde, sous forme d’un langage qui est ensuite directement transmis au cours de sa transformation de langage du silence en sons audibles, waikhâri. C’est ainsi que furent révélés et le Veda et les Tantra. La Veda Shruti est traditionnellement attribuée au tout premier rishi Brahmâ, alors que la Tantra Shruti aurait eu Shiva pour géniteur.
C’est sous forme germinale que l’on retrouve le Yoga et les mantras dans le Veda. Partiellement divulgués dans les Upanishad, les mantras sont amplement traités dans les Tantra. Les bîja (germe)-mantras demeurent dissimulés dans le complexe langage mantrique des Sanghitâ védiques – à l’exception de pranava. Seule une infime partie est divulguée dans les Upanishad alors que les Tantra identifient clairement tous les bîja-mantras ainsi que des formes tangibles des divinités qui leur sont propres et différents modes de pratique. C’est ainsi que certaines Upanishad mentionnent des mantras et des abrégés spécifiques de concentration que les Tantra décrivent avec force détails. Nombre de processus brièvement mentionnés dans le Veda sont en revanche décrits dans leur intégralité dans les écrits tantriques. Les Tantra soulignent l’importance des méthodes de la pratique spirituelle védique. Le recoupement des processus védiques et tantriques ne fait que confirmer l’intimité de leur interdépendance.
Ce qui est dit des chakras et du système des nadis dans les Upanishad est clairement élaboré dans les Tantra. De fait, sans l’appui des écrits tantriques ces sujets demeureraient incomplets.
Non seulement le terme Tantra est mentionné dans les Purana mais un grand nombre des bîja-mantras et des divinités qui y sont mentionnées présentent une frappante similarité avec celles des Tantra. Les admonitions pourâniques au praticien de la spiritualité concernent des formes d’adoration qui sont tout aussi bien d’origine védique que tantrique – certaines pratiques spirituelles pourâniques sont d’ailleurs fort similaires aux pratiques tantriques. Bien des bîja-mantras mentionnés dans les Tantra furent adoptés dans les Purâna. L’influence tantrique est mise en évidence dans plusieurs traités comme dans la Smritisanghitâ, l’AyurVeda (médecine) et le Jyotisha (astrologie et astronomie).
D’un point de vue strictement yoguique, le germe d’un Yoga naissant que l’on retrouve dans les Sanghitâ du Veda se resurgit bourgeonnant dans les Upanishad pour s’épanouir pleinement dans les Tantra.
Les Tantra se présentent sous deux aspects distincts: agama et nigama : dans la première catégorie entrent les Tantra émis de la bouche de Shiva et adressés à Pârvati et dans l’autre ceux qui furent communiqués par Pârwati à Shiva. Les deux styles de connaissance, âgama et nigama, furent admis par Vishnou. Ils constituent les Tantra originels. Bien qu’ayant été nombreux dans le passé, la majeure partie a aujourd’hui disparu. Il existe toutefois une nombre important de compilations tantriques qui furent élaborées au fil du temps par des praticiens tantriques de haute valeur.
Les Purâna
C’est Brahmâ qui le premier divulgua le Purâna, considéré depuis comme le Purâna originel. Intitulé le Brahamandapurâna, cet opus magnum était composé d’une multitude de versets. Le mérite insigne de l’avoir abrégé en 18 parties revient entièrement à Vyâsa. Chaque partie devint alors un livre à part entière doté de son propre titre. Il existe désormais 18 Purâna au total de 400.000 versets.
Le mot Purâna traduit une haute ancienneté – ce qui existait dans un passé lointain. Cela implique conséquemment que les nombreux faits relatés dans les Purâna sont, eux aussi, nécessairement anciens. Ces écrits offrent une aide précieuse pour comprendre le sens réel du Veda ainsi que le sens qu’il faut donner aux questions traitant du Yoga, la religion et d’autres choses d’ordre pratique. Les Itihâsa sont intégrés dans les Purâna. À l’heure actuelle, il n’existe que deux traités identifiables aux Itihâsa: le Râmâyana de Walmika, et le Mahâbhârata de Vyâsa.
D’une manière générale, les Purâna et les Itihâsa forment les éléments sociaux, politiques et l’histoire religieuse de l’Inde ancienne. Y sont répertoriés fondamentalement la pensée brahmanique en matière de spiritualité, dans les domaines religieux, philosophique et physique. On y trouve aussi sans compter le récit de maintes réalisations dans divers domaines.
Les Darshana
Les six Darshana connues de nos jours sont la Waisheshika-Darshana de Kanada, la Nyâya-Darshana de Goutama, la Sankhya-Darshana de Kapila, la Yoga- Darshana de Patanjali, la Purwamimangsa-Darshana de Jainini et la Vedanta-Darshana de Vedawyasa.
La Shankya-Darshana de Kapila n’est plus accessible. Il existe toutefois un minuscule ouvrage de 22 aphorismes intitulé Tattwasamasa. Nombreux sont les auteurs qui considèrent que Kapila en est l’auteur. Il existe également un ouvrage de 70 versets d’une haute ancienneté intitulé Sankhyakârikâ. Un ouvrage plus important, le Shankhyaprawachana, est habituellement traité comme une Sankhya-Darshana. De toutes les Darshana sur le Yoga ayant existé, seule subsiste aujourd’hui l’illustre Yoga-Darshana de Pantanjali.
Outre les six écoles de pensées que sont les darshana, il faut mentionner celle qui concerne la voie de l’amour divin (bhakti). La Daiwimimangsa-Darshana de Angira est actuellement considérée comme l’ouvrage maître principal sur ce thème. Il existe cependant deux autres petits ouvrages qui traitent du même sujet – les Bhakti-Sutras respectifs de Shandilya et de Narada. Le terme Yoga se retrouve dans les six darshana mentionnées plus haut (Waisheshika, Nyaya, Sankya, Vedanta et Daiwimimangsa Darshana), ainsi que dans les sutras consacrés au Bhakti de Shandilya et Narada.
La traduction du terme darshana par«philosophie» n’est pas appropriée. Le sens littéral de darshana est : voir, vue, oeil. Ce terme darshana indique une expérience directe dans les domaines du sensible, du mental et du spirituel. La darshana présente un faisceau particulier de connaissances acquises dans la recherche, l’étude et l’expérimentation, comme c’est le cas pour la vision yogique développée au cours de divers processus de concentration mentale. Ces connaissances sont ensuite présentées en un langage concis qui marie des aspects techniques et philosophiques.
Les Smritisanghitâ
Il existe de nombreux ouvrages concernant l’école de pensée qu’est la Smritisanghitâ comme la Manusanghitâ et la Wishnusanghitâ. Ces ouvrages traitent du droit, des mœurs et coutumes, de règles de conduite etc. Il existe aussi certaines SmritiSanghitâ qui traitent de la discipline du Yoga.
De l’authenticité des textes
Il convient de souligner que les fondamentaux du Yoga demeurent souvent dissimulés sous le couvert du langage spirituel, complexe et technique des Sanghitâ du Veda. L’aspect superficiel de ce langage peut être ramenée à une forme germinale (bîja) et d’autres formes tangibles mantriques. Il n’est donc pas déraisonnable d’affirmer que le fond spirituel du Yoga et des mantras que nous connaissons au travers d’un langage ordinaire n’a pas été inventé par l’homme, mais « entendu « par l’oreille interne de ces rishi qui sut acquérir sa faculté extraordinaire dans la pratique du Yoga. Ce mécanisme de communication sert le double objectif, d’une part de protéger son essence et, d’autre part, d’en limiter la propagation de sa substance aux seuls initiés assistés du gourou. Cet état de fait explique la difficulté pour les non-initiés d’en saisir le sens profond et l’incompréhension dont souffre l’exégèse de quiconque n’en a pas une expérience effectivement spirituelle.
L’aspect caché du Yoga originel védique dans son langage mantrique fut d’abord exposé dans les Upanishad. Il existe toutefois certaines facettes du Yoga qui sont mentionnées dans les Upanishad mais que l’on ne retrouve pas dans les Sanghitâ. Cela s’explique soit par la disparition partielle des collections de Vyâsa, soit par notre incompréhension de certaines parties des Sanghitâ. Le fait que l’exposé des Upanishad sur le Yoga soit incomplet pourrait également indiquer qu’un nombre d’Upanishad traitant du Yoga aient été perdus. Rien de tangible n’existe pour étayer l’idée que seuls les 11 Upanishad les plus connus sont anciens et authentiques et que les autres aient été introduits ultérieurement. Il a également été avancé que du temps de Shankara seuls les 11 fameux 11Upanishad. Cette allégation repose principalement fondée sur le fait que Shankaracharya ne commenta pas d’autres Upanishad. Ce raisonnement ne semble guère convaincant, si l’on tient compte du fait que l’absence de commentaires du célèbre rishi s’applique également aux Sanghitâ du Veda. Sommes-nous dès lors autorisés de penser que de son vivant ces Sanghitâ n’existaient pas non plus? Rien n’est plus absurde ! Il est vrai que Shankara a cité de nombreux mantras extraits des Sanghitâ et de plusieurs Upanishad. Il commente par exemple l’Upanishad Nrisinghatapinyu qui n’entre aucunement dans la série des 11 Upanishad connues. Rien n’exclut l’éventualité d’autres commentaires sur d’autres Upanishad qui ont fort bien pu disparaître.
Par ailleurs il n’est pas permis de tirer des conclusions sur la diversité linguistique qu’affiche les Upanishad avec son expression brahmanique, tantrique ou encore dans le langage hautement technique qui les caractérise – un langage au demeurant extrêmement difficile à saisir. Là s’y trouvent notamment certaines descriptions de processus yoguiques, exprimés dans une langue hermétique, que l’on ne trouve nulle part ailleurs. La diversité linguistique est bien une des caractéristiques des Upanishad. L’hypothèse d’une introduction ultérieure relève du mythe. Il n’en demeure pas moins que l’image du Yoga transmise par les 108 Upanishad est incomplète, ce qui pourrait fort bien s’expliquer par la pure perte d’autres écrits upanishadiques.
Controversés sont aussi les origines des écrits tantriques. Leur origine n’a pas échappé aux malentendus, le plus souvent chez des personnes dépourvues du statut cognitif des yogi(ni)s ou qui de toute évidence manquent d’expérience spirituelle dans l’ approche de ces écrits. Il s’agit fréquemment de jugements émis sur la seule base de connaissances linguistiques. Or, il n’est pas possible de déchiffrer ainsi le langage tantrique. Dans les Tantra la science du Yoga, ses différentes formes et pratiques sont présentées dans un langage spirituel qu’il n’est pas aisé de comprendre sans l’expérience du gourou. Ces écrits sont un mélange de différents langages – technique, spirituel, philosophique et ordinaire. C’est ainsi que l’on y retrouve, exprimé dans le langage courant, divers aspects de la religion et des coutumes ainsi que des conseils d’ordre pratique. Hormis la présence de certains termes qui recèlent un sens caché, différents aspects exprimés dans les Tantra supposent une approche intelligente pour quiconque souhaite en entreprendre une étude valable.
Ce qui ressort comme essentiel dans ces écrits, c’est le fait qu’ils complètent valablement le Yoga védique. Diverses pratiques du Yoga demeurent incompréhensibles sans l’appui des écrits tantriques. Les Tantra semblent donc indispensables pour toute étude sérieuse du Yoga.
A propos des Purâna
Tout d’abord l’indignation: « De facture récente et criblés d’interpolations les Purâna ne sont qu’un mélange d’affabulations et de superstitions ». Il est permis de demander si ces critiques sont vraiment le résultat d’une étude sérieuse des Purâna? On y trouve, c’est vrai, parallèlement à un langage technique et hermétique, un autre langage plus facile dans sa transmission, celui d’une religion à la portée de tout croyant qui souhaite progresser dans sa pratique religieuse.
Les histoires des Purâna peuvent s’avérer fort utiles. D’une grande simplicité, parfois belles, elles ont souvent la faculté de laisser une impression religieuse durable sur ses esprits qui ne pourraient pas en tirer avantage autrement. Les écrits pourâniques sont également une source d’histoires énigmatiques comme lorsqu’elles décrivent certains aspects techniques du Yoga, de la spiritualité et de la religion.
En tous cas, du point de vue yogique les Purâna présentent l’avantage incontestable de fournir une multitude d’informations, précieuses et détaillées, sur le vaste sujet du Yoga.
1) Désigné aussi comme Weda ou les Wedas (ndt).
2) Phonétiquement identifié comme Om ou Aum ; le son primordial (ndt).